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Personne n'a une vie facile. Le seul fait d'être vivant nous porte immédiatement au plus difficile. Les liens que nous nouons dès la naissance, dès la première brûlure de l'âme au feu du souffle, ces liens sont immédiatement difficiles, inextricables, déchirants. La vie n'est pas chose raisonnable. On ne peut, sauf à se mentir, la disposer devant soi sur plusieurs années comme une chose calme, un dessin d'architecte.
La vie n'est rien de prévisible ni d'arrangeant. Elle fond sur nous comme le fera plus tard la mort, elle est affaire de désir et le désir nous voue au déchirant et au contradictoire. Ton génie est de t'accommoder une fois pour toute de tes contradictions, de ne rien gaspiller de tes forces à réduire ce qui ne peut l'être, ton génie est d'avancer dans la déchirure, ton génie c'est de traiter avec l'amour sans intermédiaire, d'égal à égal, et tant pis pour le reste. D'ailleurs quel reste ?"
Christian Bobin, La plus que vive.
Ne te dis jamais psychanalyste !
« Ne te dis jamais philosophe, ne parle pas abondamment, devant les profanes, des principes de la philosophie ; mais agis selon ces principes.
Par exemple, dans un banquet, ne dis pas comment il faut manger, mais mange comme il faut. Souviens-toi en effet que Socrate était à ce point dépouillé de pédantisme que, si des gens venaient à lui pour qu'il les présente à des philosophes, il les conduisait lui-même tant il acceptait d'être dédaigné. Et si, dans une réunion de profanes, la conversation tombe sur quelque principe philosophique, garde le silence tant que tu le peux ; car le risque est grand que tu ne recraches trop vite ce que tu n'as pas digéré. Alors si quelqu'un te dit que tu es un ignorant et que tu n'en es pas meurtri, sache que tu commences à être philosophe. Car ce n'est pas en donnant de l'herbe aux bergers que les brebis montrent qu'elles ont bien mangé, mais en digérant leur nourriture au-dedans et en fournissant au-dehors de la laine et du lait. Toi non plus donc, ne montre pas aux gens les principes de la philosophie, mais digère-les et montre les œuvres qu'ils produisent ».
Epictète, Manuel (vers 100 ap. J - C.), traduction de R. Létoquard, Éd. Hatier, 1988
il y a dans la vie des moments où l'esprit se déploie une voix s'ouvre, inconnue. La réalité familière cède la place. Ce qui est resté longtemps inconnu au fond de nous s'offre soudain.
Épiphanie ? Moment de grâce ? Folie ? Pourtant nous sommes bien toujours où nous sommes et nous pouvons même en assurer notre conscience, si nous le
souhaitons.
Nous pouvons regarder autour de nous : nous sommes bien assis sur une chaise de bureau ou sur un siège de métro. Nous attendons dans un embouteillage, nous écoutons une conférence, mais un mot, une image, un son, nous a soustrait à la réalité.
Nous avons été raptés. Littéralement ravis au monde. Bien sûr nous demeurons où nous sommes, mais notre présence vive vraie est ailleurs.
Et dans cet ailleurs, nous sommes présents aussi, tout autant que dans la réalité que nous vivons.
Nous y pénétrons comme si nous découvrions une pièce inconnue dans notre propre maison.
Et cet ailleurs éclaire soudain tout un pan de notre vie. »
La patience des traces
(Jeanne Benameur, Actes Sud Ed, Arles, 2022, page 104)
Nous cheminons souvent à côté de notre sillon et, au soir de notre vie, nous constatons que nous avons marché à côté de notre désir !
La reconnaissance de notre inconscient et de ce qu'il tente de nous dire suppose une autre écoute
de la petite musique que nous avons tous au-dedans de nous ...
Il est en nous un être caché, inconnu, qui parle une langue étrangère, et avec lequel, tôt ou tard, nous devons entrer en conversation.
(François Taillandier, Anielka, (Roman Poche, 2001)
La fonction du père est de priver l'enfant de sa mère, et ainsi de l'introduire aux lois de l'échange ; au lieu de l'objet chéri, il devra composer plus tard avec un semblant. C'est cette opération qui prépare l'enfant à la vie sociale et à l'échange généralisé qui la constitue : qu'il s'agisse d'amour, donc, ou de travail.
Mais le problème du père, aujourd'hui, c'est qu'il n'a plus d'autorité, de fonction de référence. Il est seul et tout l'invite en quelque sorte à renoncer à sa fonction pour simplement participer à la fête.
La figure paternelle est devenue anachronique.
Charles Melman, "L'homme sans gravité", Jouir à tout prix, Paris, Folio Essais,2005.
Quand Freud dit que la guérison vient de surcroît, ce qui a été reprit par Lacan, il ne veut pas dire que la psychanalyse n’est pas une psychothérapie. Il n’y a pas d’ambiguïté pour Freud, la psychanalyse est une psychothérapie. Mais ce qu’il dénonce, c’est une mauvaise psychanalyse. C’est une psychanalyse qui prendrait le symptôme comme objet et qui n’entendrait pas que le problème de fond n’est pas le symptôme qui n’est qu’une manifestation. Le problème c’est que ce symptôme n’est là que pour nous faire signe, concernant une souffrance d’être, un complexe inconscient, enfin quelque chose qui est non manifeste. Le symptôme, c’est la partie grâce à laquelle le sujet adresse quelque chose d’une demande.
René Roussillon, Regards sur la souffrance, entretien avec Denis Dubouchet, revue Gestalt n° 30
Et je rajouterai : terminer une psychanalyse trop tôt empêche l'accès à la guérison du fait de la résistance de l'inconscient. Ce qui va renforcer au contraire le symptôme et véhiculer l'idée que la psychanalyse n'est pas efficace. Ce qui est faux. Philippe Grimbert explique dans "Un secret" que la psychanalyse l'a sauvé !
Roland GORI, une époque sans esprit, Avignon
La psychanalyse n’a pas de but, annonce d’emblée Roland Gori depuis son fauteuil de chercheur et de thérapeute. Tout le reste du propos consiste à éclairer le spectateur sur ce qui fait l’essentiel de la matière de la vie. Le psychanalyste égrène dans une voix délicate et apaisante les enjeux de cet art, mais surtout il éveille aux dimensions plus larges que l’accompagnement psychologique infère. Gori refuse le déterminisme, l’obsession rationnelle qui induiraient sur chaque être humain l’obligation d’une performance, ce qui, à son avis, conduit au pire.
De temps en temps, des images du périphérique parisien, de Marseille, de New York apparaissent, comme une pause salvatrice dans une longue et belle conférence où chaque mot est pesé, et surtout rempli d’intelligibilité. Le réalisateur, Xavier Gayan, amène le psychanalyste à développer des thèmes nombreux qui, en réalité, interrogent la vacuité de la modernité. Sa parole est humaniste, au sens d’une expérience de la vie dégagée du démon de l’efficience qui ramène chaque individu à son enfance, son désir, son manque et son identité multiple.
Le propos est d’autant plus important que le réalisateur convoque aux côtés de Roland Gori des philosophes, éditeurs ou directeurs de théâtre. Cela a pour effet de rendre concrète l’approche psychanalytique, de l’inscrire dans la réalité de la vie, là où souvent elle est perçue comme perchée et trop éloignée des gens. Roland Gori, une époque sans esprit s’affirme comme un film nécessaire, au cœur du rythme fou de l’existence contemporaine. Le psychanalyste emprunte un langage métaphorique, parfois poétique, parfois drôle, en tous les cas au plus près des préoccupations des spectateurs.
(Laurent Cambon, Avoir à lire)
QUAND UNE HISTOIRE SE REPETE
"Ce qui se répète ce sont les chagrins d'amour, le sentiment d'impuissance, les insomnies, les colères. Un jour, on se rend compte que sous l'apparente diversité de nos expériences et la distribution (malheureuse, croit-on) du hasard, il y a peut-être une logique du désir qui conduit sa vie à se fracasser au même endroit, sur un même affect. Et l'on commence alors à chercher quel est ce malin génie qui "veut" à notre insu la répétition des crises. Par exemple, l'un croit sa femme hystérique, la quitte, rencontre une douce jeune fille et les crises d'hystérie recommencent. Contre toute attente la jeune fille s'est révélée une furie. Mais lui, que vient-il chercher dans ce recommencement sans cesse reconduit de ces crises ?
A la surface de la plainte, rien ne bouge. Mais si l'on cherche dans les rêves, les actes manqués, la parole hésitante de qui se risque au bord de soi, si l'on écoute avec une patience et une précision de détective pourquoi il "faut que ça se répète", on arrive parfois à s'approcher de cette terreur que protège la répétition. Les crises d'angoisse, la peur d'être abandonnée, les symptômes, sont là pour empêcher le sujet de percevoir les loyautés infantiles qui le protègent. Plus insistantes que le moi lui-même, elles maintiennent fermé le champ de l'avenir."
Anne Dufourmantelle, "En cas d'amour. Psychopathologie de la vie amoureuse", Payot-rivages, 2012, p.28-29
« Je n’ai jamais été en psychanalyse. Mais curieusement, on s’effleure, elle et moi, depuis des années. J’ai chez moi un divan très ressemblant à celui d’un psychanalyste, et une photo de Freud, car je trouve ce visage magnifique. Il a la beauté de l’intelligence. J’ai toujours eu en tête l’idée de parler à quelqu’un qui m’écouterait vraiment. Donc oui, la psychanalyse est chez moi une grande tentation. Mais en même temps, j’ai l’impression que je sais déjà tout ce que j’y dirais et entendrais. C’est peut-être faux, mais voilà : j’ai été si près du gouffre que j’ai été contrainte de regarder le fond. Et de me demander : pourquoi cela me fait-il si mal ? D’où vient que je puisse rire joyeusement dans la rue et l’instant d’après me sentir d’une immense vulnérabilité, comme si tout m’atteignait ? Je vis dans ce rapport schizophrénique à moi-même, où la personne un peu folle en moi côtoie l’autre, terriblement lucide et sans illusions. » Fanny Ardant, je refuse d'avoir peur